Coups de cœur 2023

par Rupture Symbolique

Lire Lolita à Téhéran

Azar Nafisi

Après avoir dû démissionner de l’Université de Téhéran sous la pression des autorités iraniennes, Azar Nafisi a réuni chez elle clandestinement pendant près de deux ans sept de ses étudiantes pour découvrir de grandes œuvres de la littérature occidentale. Certaines de ces jeunes filles étaient issues de familles conservatrices et religieuses, d’autres venaient de milieux progressistes et laïcs ; plusieurs avaient même fait de la prison. Cette expérience unique leur a permis à toutes, grâce à la lecture de Lolita de Nabokov ou de Gatsby le Magnifique de Scott Fitzgerald, de remettre en question la situation « révolutionnaire » de leur pays et de mesurer la primauté de l’imagination sur la privation de liberté. Ce livre magnifique, souvent poignant, est le portrait brut et déchirant de la révolution islamique en Iran.

Regarde, nos chemins se sont fermés

Françoise Xenakis

Un jour d’été, l’époux, l’ami depuis plus de cinquante ans, se perd et ne retrouve plus la sente qu’il a tracée dans les montagnes de Corse. C’est le début, à travers la maladie, d’un isolement et d’un silence qui l’excluent peu à peu de toute vie. La femme raconte ses appels de nuit chez les pompiers, le service d’urgence de l’hôpital où les médecins le soignent du mieux qu’ils savent et où errent entre les brancards des grands malades, les excités, les clochards, les rejetés de partout.

Au long de ce récit si pudique et si sincère, Françoise Xenakis exprime une infinie tendresse, une immense compassion pour tous ces meurtris. Grâce à ses mots -aigus et son humour inébranlable, on rit, on s’énerve, on est outré, attendri, bouleversé. Un chant d’amour offert à l’homme malade, mais aussi à ces médecins et infirmiers qui, dans le ventre de cet hôpital hors d’âge, s’usent, jours après nuits, à sauver le patient qui souffre, à sourire à un trop perdu…

La plus secrète mémoire des hommes

Mohamed Mbougar Sarr

En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938, Le Labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, T. C. Elimane, disparu depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Fasciné, Diégane se lance sur la piste de celui qu’on surnommait le « Rimbaud nègre » . Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ? Tout en menant cette quête qui l’accapare, Diégane, fréquente un groupe d’auteurs africains en exil, et rencontre deux femmes remarquables : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…

Son inventivité, son audace et l’intransigeance de sa langue font de ce livre, qui confronte nécessités de vivre et d’écrire, une déclaration d’amour à la littérature.

Limonov

Emmanuel Carrère

Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados.

Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement.

Le chœur des femmes

Martin Winckler

Je m’appelle Jean Atwood. Je suis interne des hôpitaux et major de ma promo. Je me destine à la chirurgie gynécologique. Je vise un poste de chef de clinique dans le meilleur service de France. Mais on m’oblige, au préalable, à passer six mois dans une minuscule unité de « Médecine de La Femme », dirigée par un barbu mal dégrossi qui n’est même pas gynécologue, mais généraliste ! S’il s’imagine que je vais passer six mois à son service, il se trompe lourdement.

Qu’est-ce qu’il croit ? Qu’il va m’enseigner mon métier ? J’ai reçu une formation hors pair, je sais tout ce que doit savoir un gynécologue chirurgien pour opérer, réparer et reconstruire le corps féminin. Alors, je ne peux pas – et je ne veux pas – perdre mon temps à écouter des bonnes femmes épancher leur cœur et raconter leur vie. Je ne vois vraiment pas ce qu’elles pourraient m’apprendre.