Rupture Symbolique

La tête ailleurs et le coeur dans un autre siècle déjà. (Louis Aragon)

Mois : août, 2016

Impatience?

Colera2

Colerà, Espagne

 

Fermant les yeux, elle s’abandonnait à la douceur et à l’obscurité ambiantes. Son cœur s’emballait sous les caresses de l’amant dont les mains et les lèvres étaient partout, sur ses hanches, ses épaules, son cou. Un vertige les avait pris tous deux ; ardent comme jamais, il découvrait le corps mince de la jeune femme, s’enivrait de sa peau dorée ; elle, brûlante, heureuse de se sentir vivante, goûtait chaque seconde de cette étreinte, respirant à peine, et elle se serrait contre lui et lui murmurait qu’elle l’aurait attendu des semaines, des mois s’il avait fallu.

D’un mouvement languissant, elle se retourna et rouvrit les paupières, le regard dans le vide. Son esprit s’était laissé aller à un demi-sommeil, la chaleur qui l’enveloppait n’était que celle des draps, ô déception, point celle des bras de l’amant. Elle soupira en sentant une vague de tristesse et d’impatience l’envahir. Combien de jours, combien de nuits les sépareraient encore?

L’empathie, tu l’as mangée?

Rysstad

Rysstad, Norvège

 

Elle avait dans les trente-cinq ans, c’est à peu près tout ce que je me rappelle d’elle. J’effectuais mon stage de fin de première année de médecine ; c’était là le premier contact avec l’hôpital, mon nouveau monde pour les années qui arrivaient. Elle avait été hospitalisée pour je ne sais plus quelle raison et cela n’a pas d’importance pour ce que je veux raconter, je me souviens juste de l’essentiel : grossesse gémellaire obtenue par FIV après plusieurs essais infructueux. Grossesse ardemment désirée et précieuse, donc.

Son état requérait une échographie afin de vérifier si les deux bébés allaient bien. N’ayant jamais vu d’écho, j’ai sollicité la permission de l’accompagner. Et bien m’en a pris. Devant la salle d’écho, nous avions discuté. Elle m’avait parlé, la voie tremblante, de son mari, de son métier, des tentatives de FIV, m’avait posé des questions sur la P1 qu’elle avait elle-même ratée dans sa jeunesse ; ça lui faisait oublier l’angoisse. Et puis, ça a été son tour de passer entre les mains du radiologue.

Le lit de la patiente a été installé face à un vieux bonhomme moustachu à lunettes qui nous a vaguement marmonné un Bonjour. Sans un mot de plus, il a mis le gel sur le ventre de la patiente et commencé l’examen. De temps à autre, sans un regard ni pour la patiente ni pour moi, il grommelait des explications à l’interne assis à côté de lui, en lui désignant des choses sur l’écran. Ledit interne, d’ailleurs, ne s’était pas même donné la peine de nous saluer. La patiente me lançait des regards de détresse, je lui répondais par d’autres regards désolés. Ce cirque a dure une dizaine de minutes.

Au terme de ces dix minutes, vous seriez bien naïfs de croire que l’un des deux a rassuré la patiente. Que nenni. Le radiologue m’a aidée, ô quelle gentillesse, à sortir le lit de la patiente de la salle d’écho, a bougonné un Vous aurez le compte-rendu dans l’après-midi, et a refermé la porte. Pas un Au revoir, pas un sourire, pas un mot gentil, rien, rien, rien. Du haut de mes dix-huit ans et de ma P1, je n’avais pas osé poser de questions, j’étais trop abasourdie par le visage fermé des deux hommes, le vieux et le jeune, aussi peu engageant l’un que l’autre. Aujourd’hui, j’aurais demandé, je leur aurais arraché quelques informations, d’autant plus qu’au final, l’examen était normal, mais je tombais des nues, j’étais à l’époque trop timide, trop surprise, trop choquée d’un pareil accueil.

Et la patiente, les yeux brillants de larmes, de me dire d’une voix blanche Si vous n’aviez pas été là, j’aurais craqué… Ce jour-là, j’ai compris que, parfois, il suffisait d’être là, sans rien dire, sans grandes explications savantes, juste être là, pour que les gens se sentent mieux. Ce jour-là, j’ai aussi pris la résolution, ferme et inébranlable, promis juré craché, de ne jamais devenir comme ces deux bougons. Jamais, jamais, jamais.

J’ai peut-être trop écouté la chanson de Blanche-Neige.

Gala

Salvador Dali, Gala nue regardant la mer

 

Salut à toi, connu ou inconnu, espéré, rêvé et attendu. Je t’écris, je ne sais trop pourquoi ; je rêvassais et les mots se sont alignés d’eux-mêmes devant mes yeux, peut-être pensais-je un peu trop à toi.

Je ne sais pas qui tu es et, pourtant, il est certaines choses dont je ne puis douter. J’ignore ton visage, peut-être ressembleras-tu aux Italiens que je trouve si séduisants, peut-être auras-tu la peau plus claire encore que ces gens du Nord. J’ignore ton visage et il m’est égal, à vrai dire, je suis Ariane mais je ne te jetterai rien à la figure, pourvu que tu me parles comme Solal lui parlait, et alors, je t’écouterai des heures durant, sans me lasser. Tu joueras peut-être de la musique pour moi, peut-être m’écriras-tu des poèmes aussi beaux que ceux qu’Aragon écrivait à Elsa, peut-être encore me dessineras-tu, comme Dali a peint Gala nue regardant la mer, que j’ai longuement admiré à Figueras, à chacune de mes visites.

Tu ne seras pas susceptible, tu ne t’offusqueras pas de l’humour si piquant des D., tu me feras rire. Et surtout, tu me feras rêver. Tu comprendras que je suis Emma, Ariane et Anna, et que je ne supporterais pas une vie monotone. Quand je te dirai « Viens ! On s’en va ! », tu ne réfléchiras pas, tu ne feras pas d’histoires de pantouflard, tu me répondras « Bien sûr ! Où allons-nous? » et parfois, aussi, ce sera toi qui prendras ma main et t’exclameras « Partons ! ». J’espère que tu aimeras Puccini et Tchaïkowsky ou que, du moins, tu ne rechigneras pas pour m’accompagner écouter leur musique. Et tu me feras découvrir celle que tu aimes. Tu ne permettras pas que l’ennui s’installe autour de moi.

Tu me laisseras passer des heures au milieu de mes livres. Tu ne m’interrompras jamais dans la lecture du dernier chapitre d’un roman. Tu ne me regarderas pas de travers quand je déclarerai, le plus sérieusement du monde, que je vénère Proust et que j’admire Racine ; tu ne te moqueras pas lorsque j’avouerai avoir pleuré comme une madeleine avec Bérénice, ou que je rêve de porter les mêmes robes que Romy Schneider dans Sissi. Eventuellement, tu combleras mes lacunes en cinéma et en peinture.  Tu m’écouteras m’émerveiller de la beauté de l’italien, et tu m’encourageras à apprendre le japonais et le néerlandais, parce que tu saisiras mon intérêt pour la littérature et les langues, même si tes passions à toi sont totalement différentes.

Tu comprendras que je suis Albine, Clélie, la princesse de Clèves et Corinne ; tu comprendras que mon esprit nourri de livres a fait de moi une grande romantique, qu’il ne faut pas m’en vouloir pour toutes ces fantaisies. Tu me décevras probablement parfois, mais jamais tu ne me briseras le cœur ; tu ne deviendras jamais comme L. Tu comprendras que la nostalgie m’engloutit quelquefois, que je n’oublierai jamais mon amant perdu aux grands yeux noirs, et tu n’en feras pas toute une histoire. Tu ne me feras aucune promesse que tu ne pourrais pas tenir.  Tu sauras qu’il suffit parfois de me serrer dans tes bras ou de me préparer une nouvelle tasse de thé pour que toute tristesse s’efface de mon regard.

Je ne sais pas qui tu es. Peut-être t’ai-je déjà rencontré. Je ne sais pas qui tu es mais je sais que tu es là, quelque part, et qu’il convient juste d’attendre de se trouver au bon endroit au bon moment. Je sais que tu croiseras ma route, un jour. Alors je t’attends.