Rysstad, Norvège
Elle avait dans les trente-cinq ans, c’est à peu près tout ce que je me rappelle d’elle. J’effectuais mon stage de fin de première année de médecine ; c’était là le premier contact avec l’hôpital, mon nouveau monde pour les années qui arrivaient. Elle avait été hospitalisée pour je ne sais plus quelle raison et cela n’a pas d’importance pour ce que je veux raconter, je me souviens juste de l’essentiel : grossesse gémellaire obtenue par FIV après plusieurs essais infructueux. Grossesse ardemment désirée et précieuse, donc.
Son état requérait une échographie afin de vérifier si les deux bébés allaient bien. N’ayant jamais vu d’écho, j’ai sollicité la permission de l’accompagner. Et bien m’en a pris. Devant la salle d’écho, nous avions discuté. Elle m’avait parlé, la voie tremblante, de son mari, de son métier, des tentatives de FIV, m’avait posé des questions sur la P1 qu’elle avait elle-même ratée dans sa jeunesse ; ça lui faisait oublier l’angoisse. Et puis, ça a été son tour de passer entre les mains du radiologue.
Le lit de la patiente a été installé face à un vieux bonhomme moustachu à lunettes qui nous a vaguement marmonné un Bonjour. Sans un mot de plus, il a mis le gel sur le ventre de la patiente et commencé l’examen. De temps à autre, sans un regard ni pour la patiente ni pour moi, il grommelait des explications à l’interne assis à côté de lui, en lui désignant des choses sur l’écran. Ledit interne, d’ailleurs, ne s’était pas même donné la peine de nous saluer. La patiente me lançait des regards de détresse, je lui répondais par d’autres regards désolés. Ce cirque a dure une dizaine de minutes.
Au terme de ces dix minutes, vous seriez bien naïfs de croire que l’un des deux a rassuré la patiente. Que nenni. Le radiologue m’a aidée, ô quelle gentillesse, à sortir le lit de la patiente de la salle d’écho, a bougonné un Vous aurez le compte-rendu dans l’après-midi, et a refermé la porte. Pas un Au revoir, pas un sourire, pas un mot gentil, rien, rien, rien. Du haut de mes dix-huit ans et de ma P1, je n’avais pas osé poser de questions, j’étais trop abasourdie par le visage fermé des deux hommes, le vieux et le jeune, aussi peu engageant l’un que l’autre. Aujourd’hui, j’aurais demandé, je leur aurais arraché quelques informations, d’autant plus qu’au final, l’examen était normal, mais je tombais des nues, j’étais à l’époque trop timide, trop surprise, trop choquée d’un pareil accueil.
Et la patiente, les yeux brillants de larmes, de me dire d’une voix blanche Si vous n’aviez pas été là, j’aurais craqué… Ce jour-là, j’ai compris que, parfois, il suffisait d’être là, sans rien dire, sans grandes explications savantes, juste être là, pour que les gens se sentent mieux. Ce jour-là, j’ai aussi pris la résolution, ferme et inébranlable, promis juré craché, de ne jamais devenir comme ces deux bougons. Jamais, jamais, jamais.